vendredi 17 juin 2022

Foire de Quillan, 1797 : combats entre Quillanais et Espérazanais

Comme indiqué dans l'article reproduit ci-dessous, certains auront sans doute tenté de mettre les événements qui vont suivre sur le compte de troubles post-révolutionnaires, encore bien présents en cette année 1797. Pour autant, l'atmosphère particulière de cette fin de XVIIIe siècle n'a que peu de rapport avec le fait divers qui se passa alors en Haute-Vallée de l'Aude.

En août 1797 a lieu la foire de Quillan, mais la fête tourne au drame avec des rixes et des effusions de sang qui pourraient presque être qualifiées de "traditionnelles" tant elles sont récurrentes dans ces festivités communales. C'est la Quotidienne ou feuille du jour n° 492 du Décadi 10 Fructidor an V (1) qui rapporte les événements :

    Carcassonne, premier fructidor, an 5 (2)

Monsieur,

Un événement malheureux vient d'arriver dans notre département, le sang a coulé. Des folliculaires payés pour semer le mensonge ne manqueront pas, dans cette occasion, de mettre en avant les émigrés, les prêtres rentrés, les royalistes, etc. Prévenez leurs impostures en insérant ma lettre dans votre feuille. 

Il a existé dans tous les tems des haines et des inimitiés entre les habitans des communes de Quillan et Espéraza qui sont très-voisines ; il ne s'est jamais passé de fête locale ni de foire dans les deux communes, sans qu'il y ait eu des rixes, qui ont toujours fini par l'effusion du sang.

L'administration centrale du département, pour prévenir le renouvellement de ces scènes d'horreur, et pour maintenir le bon ordre, envoya le jour de la foire de Quillan, une grande partie de la gendarmerie dans cette commune. Dans le cours de la foire, des habitans des communes antagonistes se rencontrent ; on se regarde d'un œil menaçant ; on s'injurie ; on en vient aux mains. Au bruit des coups de pistolets et des coups de fusils la gendarmerie accourt et se jette au milieu des deux partis. 

Vous pouvez juger de l'acharnement du combat par les détails contenus dans la lettre suivante, que Marron-Martin, capitaine de la gendarmerie, a écrite au département.


    Quillan, le 29 thermidor, an 5 (3)

"L'action a été très-vive ; les esprits étoient exaspérés de part et d'autres : Espéraza, Quillan, tout étoit en armes. Le sang a coulé ; le lieutenant Dellou a reçu un rude coup de sabre au bras, un gendarme a eu trois doigts de la main gauche emportés ; plusieurs autres gendarmes ont reçu plusieurs coups de pierres et coups de bâtons, en séparant les combattans. Mon cheval a été blessé légèrement d'un coup de feu ; tous ces coups n'ont été reçus que pour rétablir le bon ordre, personne n'en vouloit à la gendarmerie...... J'ai éprouvé combien l'opinion qu'on a conçu d'un homme est avantageuse dans ces sortes de cas, puisqu'à travers les coups de fusils, de sabres, de pierres et de bâtons, je suis parvenu, à force de douceur, à ramener dans leurs villages ceux qui étoient dans l'action, et à obliger les gens de Quillan, qui marchoient en masse sur Espéraza, à rentrer dans leurs foyers. Je n'ai reçu que marques de confiance et d'estime de la part des uns et des autres. Ce jour est bien heureux pour moi, quel pénible et orageux qu'il ait été, puisqu'il est vrai que j'ai empêché que plusieurs citoyens ne succombassent sous les coups de la rage la plus désespérée."

Voici la conduite et le langage de ce capitaine qui a plus de trente ans de service dans la gendarmerie, qui s'est conduit en honnête homme pendant la révolution, et qui a été destitué par le directoire exécutif dans la dernière organisation.

Beaucoup de personnes de part et d'autre ont été blessées dans l'affaire qui a eu lieu entre les habitans de ces communes. Au moment où j'écris, on annonce que tout est calme, qu'on a arrêté les principaux moteurs du trouble et les plus mutins, et qu'ils vont être traduits devant les tribunaux.

 Au témoignage de ce capitaine de gendarmerie, on comprend que malgré la violence des scènes, le pire a été évité, puisqu'en représailles des combats dans la ville, les Quillanais s'apprêtaient à marcher sur Espéraza s'ils n'avaient été arrêtés dans leur élan par ce gendarme ! D'après ses propos, il semble que le capitaine Marron-Martin était bien connu des habitants de Quillan, puisque, dit-il, "J'ai éprouvé combien l'opinion qu'on a conçu d'un homme est avantageuse dans ces sortes de cas..." Ce fut sans doute une aide précieuse qui aura permis de limiter et de stopper ces dérives.

Aujourd'hui encore, les fêtes de village traditionnelles sont souvent prétexte à des règlements de compte entre autochtones limitrophes. Telle une malédiction, ces événements récurrents s'inscrivent dans un schéma plurimillénaire de rixes entres communautés voisines, qui a pris naissance à l'époque de la sédentarisation de l'Homme et du tracé des premières limites territoriales.

Ces dernières décennies, ces débordements sont souvent la cause de la suppression pure et simple de ces fêtes de village pourtant ancrées dans la tradition depuis des siècles. Toutefois, certaines régions conservent ces festivités, et il arrive encore, régulièrement, que des affrontements se forment entre bandes opposées.

Saura-t-on un jour conserver ces fêtes de tradition tout en brisant la malédiction ?

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(1) Dimanche 27 août 1797.

(2) 18 août 1797.

(3) 16 août 1797.

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