mardi 15 juin 2021

Escales : un accident mortel en 1875

En repartant d'Escales - où naquit en 1822 le célèbre poète occitan Achille Mir - et en prenant la route de Lézignan, on trouve sur la gauche un petit monument commémoratif.



LE 8 FÉVRIER 1875

 

ICI FUT MORTELLEMENT

ATTEINT PAR SA CHARRETTE

SILVAIN CALVAYRAC

ÂGÉ DE 20 ANS

   _____ . _____

À SA MÉMOIRE

PAR SON FRÈRE

 

 

Si nous savons peu de choses sur ce Silvain Calvayrac, les registres d'état-civil nous en apprennent un peu plus sur lui. Et si la stèle orthographie son prénom avec un "i", c'est bien avec un "y" qu'il doit s'écrire, comme on le voit dans les actes de naissance (1) et de décès (2).

Étienne-Sylvain Calvayrac est né à Escales le 1er janvier 1855 à 6 heures du matin, dans la maison d'habitation de ses parents. Son père, Louis Calvayrac, est menuisier, et a 40 ans au moment de la naissance ; sa mère, Martine Rives, est sans profession.

Un peu plus de vingt ans plus tard, le 8 février 1875, a lieu l'accident sur la route de Lézignan à l'endroit où s'élève encore aujourd'hui la stèle présentée plus haut. Grièvement blessé, Sylvain Calvayrac est transporté chez ses parents où il meurt à une heure de l'après-midi. 

S'il est difficile d'en connaître plus, nous imaginons bien Sylvain Calvayrac, jeune agriculteur, partant travailler à la vigne ou aux champs. Stoppé net dans sa prime jeunesse, son nom a traversé l'histoire grâce à ce monument, et près d'un siècle et demi se sont écoulés jusqu'à nous.

Acte de naissance complet de Sylvain Calvayrac :

N° 1, Calvayrac Étienne-Sylvain

L'an mil huit cent cinquante cinq et le premier janvier à quatre heures du soir, par devant nous Bordonove Pierre, maire officier de l'état civil de la commune d'Escales, arrondissement de Narbonne ; est comparu, en l'hôtel de la mairie, le sieur Calvayrac Louis, menuisier, âgé de quarante ans, domicilié en cette même commune ; lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin né ce jour à six heures du matin dans sa maison d'habitation sise audit Escales, rue sans nom, de lui comparant, et de Rives Martine, son épouse, sans profession, et auquel il a déclaré vouloir donné les prénoms de Étienne-Sylvain. Lesdites présentation et déclaration faites en présence des sieurs Simonin Antoine percepteur âgé de cinquante un ans et Lepelletier Louis, receveur buraliste âgé de trente huit ans tous les deux domiciliés audit Escales, et ont, ........... (3), signé cet acte avec nous, après que lecture leur en a été faite.

 

Acte de décès complet de Sylvain Calvayrac :

N° 2, décès de Sylvain Calvayrac, 20 ans, 8 février

L'an mil huit cent soixante quinze et le huit février à quatre heures du soir, par devant nous, Berthomieu Jules, maire officier de l'état civil de la commune d'Escales, département de l'Aude, sont comparus Boussiaux Lubin, tonnelier, et Pech Eugène, instituteur, tous les deux âgés de vingt huit ans et domiciliés dans cette commune, lesquels nous ont déclaré qu'aujourd'hui, à une heure de l'après-midi, le nommé Calvayrac Sylvain, âgé de vingt ans,  né et domicilié dans cette commune, fils de Calvayrac Louis, propriétaire, et de Rives Martine, sans profession, domiciliés à Escales, est décédé dans la maison d'habitation de ses parents ; d'après cette déclaration nous étant transporté au lieu ou ledit Calvayrac Sylvain est décédé, nous nous sommes assuré de son décès et les déclarants ont signé avec nous le présent acte après que lecture leur en a été faite.


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(1) Archives en ligne de l'Aude, 100NUM/5E126/8.

(2) Archives en ligne de l'Aude, 100NUM/5E126/10. 

(3) Trois ou quatre mots difficilement lisibles. 


Début XVIIIe, un projet fou : un "Canal du Midi" à Quillan et Lagrasse !!

Tout le monde connaît le projet fou de Pierre-Paul Riquet, qui conçut et construisit le Canal du Midi dans la seconde moitié du XVIIe siècle. 

J'ai découvert dernièrement un projet encore plus fou, et c'est peut-être la raison principale pour laquelle celui-là n'a jamais abouti ! Il en a toutefois été question très sérieusement pendant quelque temps, bien que ce travail se soit arrêté à la rédaction d'un Mémoire présentant le projet.

Nous sommes en 1697. Le frère Bernardin Pons, natif des Pyrénées-Orientales, sans doute inspiré par le succès du Canal Royal de Languedoc (1) fraîchement terminé moins de quinze plus tôt, étudie la possibilité de création d'une nouvelle voie d'eau afin de développer le commerce en ralliant Narbonne à Perpignan, tout en désenclavant la Haute-Vallée de l'Aude et les Corbières en passant par Quillan, Lagrasse et même Limoux. Lorsque l'on connaît les lieux, la construction d'un tel canal paraît totalement impossible ! Et pourtant, un document fait foi du projet très sérieux de Bernardin Pons, dont voici la teneur dans son entier :

 

MÉMOIRE (2)

Le frère Bernardin Pons Religieux du Couvent des Carmes de la place Maubert à Paris natif de Perpignan, ayant consceu par l'expérience de l'année 1697 la nécessité qu'il y a de faire un canal en Roussillon depuis Narbonne jusqu'à Perpignan, avec un port capable de contenir plus de deux cens vaisseaux de toutes grandeurs et les galleres en toutes sûretés, tant pour l'utilité du Roy, que pour le bien du public.

Depuis ce temps-là, ledit frère Bernardin s'est appliqué à visiter tous les lieux par où il feroit passer ce canal en examinant assidûment tous les endroits pour rendre sa construction solide et parfaite, et celle du port, et il croit même en avoir surmonté tous les obstacles, et toutes les difficultés qui pouvoient s'y rencontrer afin de rendre cet ouvrage dans sa perfection.

Ce port et ce canal auroient communication avec les canaux Romains et de Languedoc qui en augmenteraient les revenus considérablement, lequel canal proposé monteroit du côté de la mer depuis ledit port, jusqu'à Illa par le ruisseau du Boulle, et de l'autre costé à Quilan par la rivière de l'Agly, à La Grace, par la rivière d'Orbioux le tout suivant le plan que ledit frère Bernardin en a dressé de l'avis du père Sébastien carme du même couvent, et qui sera joint à ce Mémoire. (3)


 

Cette communication produiroit de grands aventages et un revenu considérable à Sa Majesté, au commerce, à la province du Roussillon, et à toutes celles des environs, aux Seigneurs propriétaires des terres, et héritages, et à tous ceux des pays plus éloignés qui viendroient commercer de ce costé-là, que pour le peu qu'on ayt la bonté, d'avoir attention aux observations que ledit frère Bernardin en explique cy après, on sentira aisément combien cette proposition est de conséquence et aventageuse.

 

OBSERVATIONS

1°. Lors qu'il y a une armée en Roussillon, on n'y peut point porter les munitions de guerres et de bouches que par charettes et à dos de mulets, transports qui ne se peuvent faire que très lentement et à grand frais.

Par la communication qu'on propose, il y auroit un canal capable de porter toutes les munitions de guerres d'artilleries, de bouches, et tout les canons à peu de dépense et en peu de temps, par exemple pour transporter les vivres de Narbonne à Perpignan, on ne peut se servir que de charettes et de mulets, une charette ne peut porter que de dix-huit à vingt septiers de grains pesant un quintal chacun poid de marc, ainsi de même toutes les autres provisions de guerres et d'artilleries, et avec cela, une charette chargée de grains ou autres provisions coûte dix écus de Perpignan à Narbonne, et il luy faut deux ou trois jours sans accident pour en faire le trajet.

Et par le canal il ne faudroit qu'une journée tout au plus où une barque seulle portera jusqu'à deux mille septiers à quatre sols chacun, lesquels deux mille septiers ne coûteroient que quatre cens livres, au lieu que par charoys ils coûtent ordinairement plus de trois mille livres. Par conséquent cette grande différence de dépense est de conséquence, et mérite d'abord attention.

Et en cas de marche des troupes, on pouroit les embarquer au Saumal point de partage du Haut et Bas Languedoc et les transporter à Perpignan d'où il résulteroit que pendant le trajet prompt et commode les troupes fatiguées se reposeroient , qu'il ne sera pas en leur possible de déserter par la facilité que la situation des lieux donne à la désertion comme il arrive ordinairement lors qu'elles font le trajet par terre et que les habitants des lieux par où elles passent seroient soulagés du transport des bagages des officiers et les étapes épargnées.

 

2°. Comme le fourage est rare en Roussillon, et qu'il est très abondant en Languedoc, par le moyen du canal on transporteroit de Languedoc en Roussillon toutes sortes de fourages, ce qui procureroit un débouché aventageux à la province de Languedoc et l'abondance à celle du Roussillon.

 

3°. On ne peut avoir une armée en Roussillon qu'on ne soit obligé en même temps d'y entretenir des mulets à proportion des troupes ce qui cause une dépense excessive.

Le canal en question déchargeroit assurément le Roy de la plus grande partie de cette dépense, par ce qu'au moyen de ce canal, on pouroit en tout temps fournir les magazins.

 

4°. La rareté des fourages en Roussillon y ruine ordinairement la cavallerie, et les voitures pour le transport des bagages des troupes y ruynent aussy, et interrompent la culture. 

Et le canal remédieroit à ces inconvénients.

 

5°. Indépendamment du canal, le frère Bernardin propose de faire un port à Canette à l'embouchure de la rivière de la Thet à une lieüe de Perpignan où il y a un fond d'eau de dix-sept brasses, un terrain ferme et aventageux, et capable de contenir plus de deux cens vaisseaux de toutes grandeurs avec les galleres en toutes sûretés, et à l'abry des vents et des tempestes hyvers et étés, et même hors d'insultes de la part des ennemis, et infiniment bien plus propre à pouvoir construire un port, que ne sont ceux de Collioure, et de Cette qui sont très petits et très mauvais où il n'y a pas même de fond d'eau pour les vaisseaux de haut bord.

Le Roy et le public tireroient un aventage très considérable de la construction de ce port, où le canal qu'on propose établiroit une communication du Canal Royal à ce port et y produiroit comme une seconde jonction de la mer Méditerranée à l'océanne.

Par le moyen du canal, on auroit la facilité de faire conduire à peu de frais, et en peu de temps, tous ce qui seroit nécessaires pour les armemens des flottes en temps de guerre et les marchandises qui débarqueroient à ce nouveau port pouroient estre encore transportées dans le Royaume, et même venir à Paris en moins de temps, et à beaucoup moins de frais.


6°. La pesche du thon, de l'enchoy, de la sardine, et de plusieurs autres bons poissons, est très abondante à la plage où l'on se propose de bastir le nouveau port.

Le Roy, ny le public ne tirent aujourd'huy aucun fruit de cet aventage, par ce que n'y ayant, ny ports, ni forts pour mettre à l'abry les pescheurs des mauvais temps, et des inscursions, cela fait qu'il y a très peu de pescheurs dans toute la plage, d'un autre costé l'abondance de la pesche leur devient inutile, soit par ce qu'ils n'ont pas les commodités nécessaires pour mariner les thons, et saler les enchoys, et les sardines, soit enfin par le deffaut de consommation, et tous ces deffauts ne viennent que de celuy de n'avoir pas de communication, principalement avec les salines pour avoir du sel.

Or par le canal, et le port qu'on se propose de construire il se feroit un commerce considérable pour la pesche par la facilité qu'on auroit de fournir aux pescheurs, tout ce qui leur seroient nécessaires, et par celles que les pescheurs auroient d'envoyer leurs poissons dans tout le Roussillon et dans le Languedoc jusqu'à Toulouze avec une barque de diligence qui marcheroit jour et nuit, ce qui feroit fleurir le commerce de la pesche, produiroit l'abondance et un revenu très considérable à Sa Majesté.


7°. Il conviendroit d'établir sur ledit canal une barque de poste de Perpignan au Saumal qui serviroit pour le transport des voyageurs, et de toutes les marchandises dont le public tireroit un aventage considérable.


8°. De tous ces aventages la ville de Perpignan en ressentiroit en particulier un essenciel de la manière dont elle est scituée, l'eau des fossés n'a point d'écoulement, et les immondices qui y entrent et qui y croupissent à la porte de Nostre-Dame, infectent l'air, et y causent toutes les années de grandes maladies contagieuses.

Le canal dont il s'agist passant auprès des murs de Perpignan de la manière qu'on se propose de le conduire nettoyeroit les fossés, enlèveroit les immondices, et feroit par conséquent cesser la causes desdites maladies contagieuses. Ces maladies furent si considérables en 1723 que toute la garnison étant malade, les bourgeois furent obligés de monter eux-mêmes la garde.


9°. On scayt que la province de Roussillon est très fertile en toutes sortes de grains principalement en vin, et que l'abondance de vin est sy grande en de certaines années qu'il arrive souvent qu'on est obligé de laisser une partie des vendanges dans les vignes faute de tonneaux et de consommation.

L'établissement du canal qu'on propose remédieroit à ces deux inconvénients.

Les montagnes de la Luère du costé du Mousset et de La Grace fourniroient les bois nécessaires pour la construction des futailles qui se fabriqueroient sur les lieux, et seroient ensuitte transportées par le canal, en Roussillon.

Comme aussy les bois nécessaires pour la charpente, le charonnage, le chauffage, et le charbon, qui y sont d'une chereté excessive dans le Roussillon et dans le Languedoc par raport aux frais de voitures. Ces deux provinces pouroient tirer à très bon marché par la facilité du canal tous lesdits bois nécessaires, et le charbon desd. montagnes entre Limoux et La Grace où il y en a abondamment.

Les habitants du Roussillon ayant la commodité d'avoir des futailles autant qu'ils en auroient besoin, et celle d'envoyer sur mer, et dans le Royaume, et dans les pays étrangers, leurs vins, esprits de vins, et eaus de vies qu'ils en tirent s'apliqueroient à cultiver leurs terres, et leurs vignes, ce qui procureroit encore l'abondance, et un proffit considérable à Sa Majesté.


10°. Du terrain qui est entre Limoux, et La Grace, il y en a les deux tiers d'inculte par la difficulté du transport.

Au moyen de l'établissement du canal, tout ce terrain deviendroit en valeur par les débouchements que le canal procureroit et il n'y s'y trouveroit plus comme aujourd'huy des villages entiers qui quoy que scitués dans de bons terrains et fertiles se trouvent cependant hors d'état de payer la taille ne pouvant faire aucun usage de leurs denrées ce qui les mets dans la nécessité d'abandonner leurs terres.


11°. Par l'établissement de ce canal et de ce port, la province du Roussillon seroit en état de commercer avec grand aventage toutes les denrées qu'elle a en abondance dans le Royaume, et avec tous les pays étrangers, contre d'autres dont elle manque.

On le voit, le frère Bernardin Pons n'est pas à court d'arguments pour défendre son projet, et c'est vraisemblablement ce Mémoire de sept pages manuscrites qui fut présenté aux députés du Languedoc en 1733 (4). L'affaire fut renvoyée à l'assemblée des États du Languedoc et après de nombreux débats et certaines oppositions, en 1736 devant l'assemblée des mêmes États, à Narbonne, Bernardin Pons annonce qu'il renonce à la construction du canal et du port, et qu'il ne s'en tiendrait qu'à réaliser la jonction entre la Robine et le Canal Royal du Languedoc. Que s'est-il réellement passé, pourquoi ce soudain abandon ? Le frère Bernardin s'était-il aperçu de l'impossibilité de son projet ? S'était-il vraiment "appliqué à visiter tous les lieux par où il feroit passer ce canal", comme il est dit dans le Mémoire ? D'autant que la description vient contredire l'inspection minutieuse faite par Bernardin Pons, lorsqu'il est dit que "le canal proposé monteroit... ...jusqu'à Illa par le ruisseau du Boulle, et de l'autre costé à Quilan par la rivière de l'Agly" ; en effet, ce n'est pas l'Agly qui passe à Quillan, mais la rivière Aude. Une telle erreur aurait-elle pu être faite si Bernardin Pons était allé vraiment sur place ? Cela paraît improbable, et il est plus cohérent de penser qu'il ne s'est jamais rendu sur les lieux, du moins pas tous. Natif de Perpignan, il devait très bien connaître la topographie de sa région, mais en rentrant dans l'Aude et en passant le col de Lapradelle, l'aspect change totalement et l'on passe de la plaine à des à-pics montagneux formant gorges. Par ailleurs, au moment de la présentation du projet, Bernardin Pons est religieux au couvent des Carmes de la place Maubert, à Paris, qui se trouve à deux pas de la Seine. Observant en plein cœur de la cité la navigation fluviale sur la Seine, et l'imagination aidant, il aura sans doute extrapolé et transposé le principe dans l'Aude et dans les Pyrénées-Orientales, n'ayant pas conscience des difficultés insurmontables que connaissent ces endroits en matière de voies navigables.

Le projet du frère Pons était sans doute le creusement de canaux  dans les plaines perpignanaise et narbonnaise, puis l'utilisation du lit des rivières existantes, en les aménageant, pour traverser Haute-Vallée de l'Aude et Corbières : Agly, Aude, Orbieu... Mais ces rivières sont des torrents impétueux, colériques, tout au moins en certaines parties de leur parcours, et notamment dans les Gorges de la Pierre-Lys où il n'y avait à l'époque pas même un chemin praticable pour les voitures à chevaux, et où même en passant à pied, l'on risquait de se briser les os. Dans ce contexte, l'aménagement d'une voie navigable pour le commerce ou pour les armées à cet endroit paraît tout à fait improbable. Bernardin Pons s'en était peut-être aperçu, mais bien tard, ce serait pour cette raison qu'il fît marche arrière. Parmi ses détracteurs, les villes d'Agde et de Sète, qui voyaient dans le projet abouti une concurrence importée du Roussillon... Mais aussi des avis plus éclairés, tel celui du député Gilly de Nogaret, qui considère l'entreprise d' "une exécution impraticable, dangereuse" (5), ou le contrôleur général Orry qui semblait sceptique sur l'aboutissement d'un tel projet. Bernardin Pons aura sans doute tenu compte de certains de ces avis dans sa rétractation finale. 

Si le canal du Roussillon n'a jamais été réalisé, ni par Vauban (6), ni par Bernardin Pons, ni par un autre, il est toutefois intéressant de se pencher sur cette histoire méconnue et d'imaginer notre département restructuré par ces aménagements dont l'idée avait été suffisamment prise au sérieux pour que les États du Languedoc en débattent durant plusieurs années. Le passage du Roussillon ne se fera que près de cent plus tard, par voie terrestre avec le percement de la Pierre-Lys par Félix Armand (7), curé natif de Quillan en poste à Saint-Martin-Lys, petit village proche mais séparé par la barrière rocheuse. Il faudra ensuite attendre la fin du XIXe siècle pour qu'un tunnel ferroviaire soit percé dans les gorges, malheureusement abandonné à peine quelques décennies plus tard. 


  

Une des entrées du long tunnel de la Pierre-Lys, ouverte en 1899. À l'autre bout, l'arche porte le cartouche "1896", indiquant ainsi la durée de son percement total.

 

Aujourd'hui, il nous reste pour circuler, la voie ouverte par Félix Armand voilà deux-cents ans. Et désormais, en traversant en voiture l'ancienne barrière de la Pierre-Lys, j'imaginerai les vaisseaux lourdement chargés de marchandises naviguant sur un improbable canal du Roussillon jusqu'à Quillan et Limoux, et même plus loin.


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(1) Actuel Canal du Midi.

(2) Ce document est apparu brièvement sur un site Internet avant de disparaître. Désirant l'acquérir, j'ai contacté la personne qui l'avait publié, mais elle ne m'a jamais répondu. Par chance, le document était complet, et j'ai pu le retranscrire. L'orthographe a été conservée.

(3) Plan malheureusement manquant.

(4) À ce propos, voir Le canal du Languedoc en Roussillon. Projets et débuts de réalisation, XVIIe-XVIIIe siècles, de Gilbert Larguier, in Découvrir l'histoire du Roussillon : parcours historien, Presses Universitaires de Perpignan, 2011, pp. 365-377.

(5) Op. cit., note 35.

(6) Le tracé du canal de Vauban était tout différent et n'incluait pas la Haute-Vallée de l'Aude et les Corbières. Voir Gilbert Larguier, op. cit.

(7) Voir Félix Armand et son temps - Un siècle d'histoire dans les Pyrénées Audoises (1740-1840) de Louis Cardaillac, 2011.


 





3 août 1780, le village de Leuc en grande partie détruit par une trombe de terre !

Dans un autre article, j'évoquais la trombe de terre qui a ravagé le village d'Escales le 15 juin 1785. À peine quelques années auparavant, c'était Leuc qui était détruit en grande partie par un même phénomène. Le Mercure de France du samedi 26 août 1780 (1) décrit les événements.

On mande de Carcassonne le fait suivant, qui est fait pour piquer la curiosité publique et attirer l'attention des Physiciens.

"Le 3 de ce mois sur les cinq heures et demie de l'après-midi, le tems s'obscurcit, il s'éleva un brouillard fort épais ; le vent souflant au Sud, sans trop de violence,  il se forma tout-à coup un orage au Nord, qui fondit sur le pays de la Montagne Noire ; sa direction changeant tout-à-coup, elle se porta au Midi, et le vent parut se calmer ; mais il s'éleva sur les bords de la rivière Daude, dans les terres, un tourbillon en forme de trombe de terre qui soutenoit les pierres et le gravier en l'air ; le vent étant alors au Sud, il resta pendant quelques minutes dans l'endroit où il s'étoit formé, et fut poussé ensuite avec une violence extrême par le même vent sur le Château de Leuc et sur le Village distant de deux mille toises ; cette trombe suivit constamment le cours de la rivière jusqu'au Village, elle s'attacha au château dont elle a enlevé les girouettes, les tuiles, les plombs, les vitres, les contre-vents, a pénétré dans l'intérieur des appartements, qu'elle a entièrement décarrelés ; 80 maisons du Village ont eu le même sort, 10 maisons en ont été écrasées, ainsi que les gerbiers qui ont été enlevés et dont on n'a pu savoir des nouvelles ; 7 à 800 oliviers des plus gros ont été déracinés et enlevés. - Heureusement les habitants du Village étoient à l'Église, sans quoi ils auroient été écrasés sous les décombres de leurs maisons ; l'Église n'a essuyé d'autres dommages que l'enlèvement des toits. - La violence de ce tourbillon étoit telle, que des arbres pesant plus de six quintaux ont été enlevés sur les toits des maisons ; ce qui a paru de plus extraordinaire, est que cet ouragan qui paraissoit enflammé, n'a été précédé ni suivi d'aucune grêle ni pluie, le Ciel étoit aussi obscur à six heures du soir qu'à minuit. On ne sauroit rendre la désolation de ce village, qui d'un état assez aisé, est réduit à la dernière misère ; le Seigneur, le Curé et les Habitants n'ont pas un lit pour se coucher."

 

 



Le tome quatrième du Journal de la littérature, des sciences et des arts (2) apporte quelques précisions supplémentaires.

Météorologie. Extrait d'une Lettre de Carcassonne, en date du 7 août 1780

Il vient de se passer dans nos environs un événement extraordinaire. On y a vu une trombe de terre semblable à celle qui parut à Capestan, près de Béziers, rapportée par l'Histoire de l'Académie, année 1737, et consignée tout au long dans l'Encyclopédie. Ce phénomène s'est renouvellé Vendredi dernier 4 du présent mois, à 5 h. 31 m. du soir à Leuc, lieu voisin de cette ville. Il s'éleva auprès du Village appellé Coufoulens, distant du premier d'environ mille toises, une colonne assez noire, qui descendoit d"une nue jusqu'à terre, en diminuant de largeur, et flottant par un petit vent d'ouest qui la porta au sud-ouest : un coup de tonnerre effroyable rabattit cette nuée toute entière, qui se dressa perpendiculairement, et forma la trombe qui attiroit à elle tout ce qui l'environnoit, gerbes de bled, oliviers, souches, jusqu'à des pierres d'une grosseur extrême, qu'on a trouvées calcinées à la superficie.

Les caractères de ce phénomène ont été tout-à-fait analogues à celui que l'Académie et l'Encyclopédie nous ont décrit, et les effets aussi funestes : les deux tiers des maisons ont été ébranlées, et les toits emportés, les fenêtres et les portes brisées, un mur du Château, large d'une toise et demie, percé, 700 pieds d'oliviers tordus ou coupés, et deux entr'autres d'une grosseur considérable déracinés et portés à plus de deux cents pas ; enfin tout ce malheureux endroit et ses environs ne présentent que ruine et dévastation.

Comme à Escales cinq ans plus tard, on a affaire à un phénomène extrêmement violent et localisé, puisqu'il semble que seul Leuc se trouve concerné par la multitude de dégâts. Et c'est un village et ses environs presque entièrement détruit qui ressort de cet ouragan, habitations aux toits arrachés, récoltes entièrement ravagées... On imagine l'état de peine et de désolation des habitants, leur vie ainsi réduite à néant en quelques dizaine de minutes au maximum. Ces hommes ont dû tout reconstruire pour donner le village que l'on connaît encore aujourd'hui.

À la réflexion, ces phénomènes ponctuels, décrits comme exceptionnels, ne sont pas si rares : en 1737 c'est Capestang, 1776 la montagne d'Alaric, 1780 Leuc, 1785 Escales, et ce ne sont là que quelques exemples pris au hasard parmi tant d'autres. Mais fort heureusement, leur limitation dans l'espace géographique fait que généralement un même lieu n'est pas touché deux fois dans un espace de temps restreint. 

Près de deux cents ans plus tard, le 25 mai 1969, Leuc était de nouveau atteint par une tornade. Il y eut toutefois moins de dégâts qu'en 1780, bien qu'une voiture qui circulait ait été soulevée et emportée dans les vignes, et son conducteur grièvement blessé, un toit de hangar arraché et des poteaux couchés, bloquant ainsi la voie ferrée (3).


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(1) pp. 182-183.

(2) À Paris, au Bureau du Journal, 1780, pp. 292-293.  

(3) Les faits sont rapportés sur le site Keraunos, et un article (reproduit sur le site) a été publié à l'époque dans le Midi Libre du 26 mai 1969. 

Tourouzelle : le réemploi d'une tombe dans l'édification d'un calvaire

Sur le territoire de la commune de Tourouzelle, se trouve une jolie petite chapelle champêtre. Devant celle-ci, une croix de pierre sur son piédestal, et c'est en contournant ce dernier qu'apparaît une curiosité : sur le socle, une inscription est gravée mais elle se trouve à l'envers !


 

Il s'agit d'une pierre tombale relativement récente, réemployée pour ériger cette croix. Le texte est le suivant : 

ICI REPOSE

jean-Baptiste Marty

Chevalier de la Légion d'Honneur

Maire de Tourouzelle

Décédé dans cette commune le 21 février 1865

À l'âge de 72 ans

___________________

PIEUX SOUVENIR DE SA VEUVE



Doit-on voir une symbolique dans ce curieux réemploi ? Ou bien y aurait-il une explication plus prosaïque ? 

Jean-Baptiste Marty a été maire de Tourouzelle de 1852 à 1865, et avait déjà occupé cette fonction de 1846 à 1848 (1). Décédé lors de son mandat le 21 février 1865 à 1 heure du matin, c'est Armand Rouquié, son adjoint, qui remplit les fonctions de maire et d'officier de l'état civil lors de la rédaction de l'acte de décès. Sont présents Bernard Ambroise, instituteur du village, âgé de 31 ans, et Alexis Jean, garde-champêtre, âgé de 50 ans. 

Si la stèle retournée nous indique l'âge de 72 ans, l'acte de décès le dit "âgé de septante un ans" (72 ans indiqué en chiffres dans la marge). Jean-Baptiste Marty était né à Oupia dans l'Hérault, situé à seulement quelques kilomètres de Tourouzelle. Il était marié à Rose Carrière, sans profession, et fils de Jean-Baptiste Marty et Marie Ségonne, décédés.

Acte de décès complet (2) :

21 février

Acte de décès de Marty Jean-Baptiste 

N° 5

72 ans 

L'an mil huit cent soixante cinq et le vingt un février à midi, devant nous Rouquié Armand, Adjoint au maire, remplissant, ce dernier décédé, les fonctions de maire et d'officier de l'état-civil de la commune de Tourouzelle, département de l'Aude, ont comparu en l'hôtel de la mairie, les sieurs Bernard Ambroise, instituteur public, âgé de trente un ans, et Alexis Jean, garde champêtre, âgé de cinquante ans, tous deux domiciliés audit Tourouzelle, lesquels nous ont dit que ce jour à une heure du matin, est décédé, dans sa maison d'habitation, sise dans cette commune, M. Marty Jean-Baptiste, maire, Chevalier de la Légion d'Honneur, âgé de septante un ans, né à Oupia (Hérault) domicilié au présent lieu, époux de Carrière Rose, sans profession, fils de Marty Jean-Baptiste et de Ségonne Marie décédés. Après nous être transporté au domicile du décédé, nous avons constaté le décès et nous avons dressé le présent acte que les déclarants, amis du défunt, ont signé avec nous après lecture.

Suivent les signatures, "Bernard instituteur", "Alexis" et "L'Adjoint, Rouquié". 


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(1) Source : site "Annuaire Mairie" sur la page Les maires de Tourouzelle.

(2) Archives en ligne de l'Aude, 100NUM/5E393/12.

Mai 1814 : Une visite inattendue dans l'Aude de Louis-Antoine d'Artois, duc d'Angoulême

Louis-Antoine d'Artois (1775-1844), duc d'Angoulême, est le neveu de Louis XVIII - roi de France au moment des faits évoqués ici - et le fils de Charles-Philippe de France, comte d'Artois, qui succédera au trône sous le nom de Charles X. 

En mai 1814, Louis-Antoine d'Artois se rend à Toulouse, au départ de Bordeaux. Ce trajet n'atteint pas l'Aude, mais après avoir rencontré le baron Trouvé et sa délégation, venus spécialement, Son Altesse Royale émet vivement le vœu de visiter le département. Et c'est en grande pompe que le duc d'Angoulême est reçu sur les terres audoises, comme le raconte longuement Le Moniteur Universel n° 138 du mercredi 18 mai 1814.


Carcassonne, le 6 mai

Aussitôt qu'on fut informé dans cette ville que S. A. R. le duc d'Angoulême  devait se rendre de Bordeaux à Toulouse, M. le baron Trouvé, préfet de l'Aude, accompagné des députations du conseil-général et des conseils municipaux, s'empressa d'aller dans cette dernière ville et y présentèrent au prince les hommages du département.

S. A. R. ayant fait connaître que son intention était de visiter le département de l'Aude, et d'y passer la revue des armées, toutes les dispositions furent prises pour la recevoir.

M. le préfet de l'Aude se trouva à sa rencontre à une lieue de la ville ; le prince parut écouter avec un intérêt marqué cette partie du discours du préfet :

"Monseigneur, le département de l'Aude vous offre une physionomie particulière et peut-être unique en France. Il n'a point été ensanglanté par les fureurs de l'anarchie ; il n'a point été la proie des ressentimens, des réactions et des vengeances ; il était impatient de faire éclater son respect, sa fidélité, son amour pour la famille des Bourbons. Si la ville de Castelnaudary a joui la première de la vue d'un prince qui fait l'espoir, qui fera les délices de la patrie, les villes de Carcassonne et de Narbonne  brûlent aussi de partager cette heureuse jouissance, et de prouver leur enthousiasme et leur dévouement à V. A. R. (sic) et au Souverain que la main de la Providence a replacé sur le trône de S. Louis et de Henri IV."


 

 

Cent coups de canons annoncèrent l'arrivée de S. A. R., qui monta à cheval ayant à ses côtés les maréchaux duc de Dalmatie et d'Albufera. Les troupes bordaient la ligne et faisaient entendre sur tous les points du passage le cri de vive le Roi !

Les habitans de Carcassonne firent éclater à l'entrée du prince un enthousiasme auquel il parut très-sensible.

Il admit ensuite à l'hôtel de la préfecture les différentes députations qui se présentèrent, et fut conduit dans le même appartement qu'avait occupé, en 1777, Monsieur ; aujourd'hui S. M. Louis XVIII.

Après le souper, Mgr le duc d'Angoulême voulut bien honorer de sa présence le bal qui était préparé à l'hôtel-de-ville. Il fut accueilli dans cette grande salle par les mêmes applaudissemens, les mêmes cris, les mêmes acclamations. Toute la population se pressait pour voir S. A. R. La ville était parfaitement illuminée.

Le 4, à cinq heures et demie du matin, S. A. R. se rendit à la cathédrale. Ensuite le prince retourna à son palais, et partit pour Narbonne, accompagné de S. Ex. le maréchal duc d'Albufera.

C'est là que le cœur de S. A. R. devait éprouver de nouvelles jouissances.  Une réception magnifique lui fut faite ; les autorités lui adressèrent des discours ; le peuple entier fit retentir l'air de ses cris de vive le Roi, vive le duc d'Angoulême !

S. A. R. descendit à l'hôtel de la sous-préfecture, et monta à cheval pour aller passer la revue de l'armée qui était rangée en bataille dans une vaste plaine appelée l'Étang-Salin. On ne saurait se faire une idée de la beauté de ce spectacle. Quinze mille hommes des plus belles troupes, commandées par un général qui ne les a jamais conduites qu'à la victoire, M. le maréchal duc d'Albufera, firent devant le prince toutes les manœuvres ; infanterie, cavalerie, artillerie, tous les corps parurent avec le même avantage, avec le même éclat ; des milliers de coups de canon précédèrent et suivirent le feu de file, le feu de peloton, le feu de bataillon. Toutes ces troupes défilèrent en présence de S. A. R., aux cris de vive le Roi !

Rentré dans la ville, Mgr le duc d'Angoulême admit à sa table, outre S. Ex. le maréchal Suchet, plusieurs généraux, les préfets du Gard, de l'Hérault, des Pyrénées-Orientales et de l'Aude. Plusieurs autres fonctionnaires ont partagé cet honneur. 

S. A. R. a voulu que son passage dans les villes du département fût marqué par des distributions d'argent aux militaires malades ou blessés ; elle a recommandé l'union entre les citoyens et les militaires, et a répété à plusieurs reprises au préfet de l'Aude, qu'elle était enchantée de son département.

Ce voyage de Mgr le duc d'Angoulême a produit le plus heureux enthousiasme. Il est, pour le Midi, une époque remarquable dans le retour des Bourbons. C'est ici le premier département non conquis que visitait un prince de cette maison ; il y paraissait sans garde, sans escorte, accompagné seulement de deux de ses officiers, MM. le duc de Guiche et le vicomte d'Escars. le pays était occupé par des armées françaises, et par-tout S. A. R. a vu le même élan, les mêmes transports, a recueilli les mêmes applaudissemens, les mêmes acclamations ; par-tout les guerriers et les habitans ont répondu, par la même fidélité, par le même dévouement, à la noble confiance, à la juste sécurité du prince.

 

ARMÉE DU MIDI

Au quartier général, à Narbonne, le 4 mai 1814

Ordre du jour

M. le maréchal duc d'Albufera annonce à l'armée que S. A. R. le duc d'Angoulême ayant passé la revue des troupes réunies à Narbonne, a daigné témoigner sa satisfaction complette de leur tenue, de leur bon état, de la précision avec laquelle elles ont manœuvré et fait des feux, et sur-tout des sentimens dont elles se sont montrées animées pour le Roi et la patrie : elle l'a chargé de consigner à l'ordre de l'armée ce témoignage de sa satisfaction : elle a promis de le transmettre à S. M. Louis XVIII, et de lui présenter une demande de récompenses et de décorations en faveur des militaires qui y ont le plus de droit par leurs services et leur bravoure. MM. les généraux commandant les troupes feront dresser les états et les présenteront à M. le maréchal.

Signé le maréchal Suchet duc d'Albufera


Quinze mille militaires manœuvrant dans la plaine narbonnaise ! Cela a dû être un spectacle de toute beauté ! Mais où exactement ont-eu lieu ces manœuvres ? Difficile de le préciser, le lieu-dit indiqué étant simplement l'Étang-Salin, type de paysage récurrent dans ce secteur. Mais, seule Narbonne étant citée lors de cette visite du duc, on peut supposer le lieu au plus proche de celle-ci (1), et plus précisément, peut-être au sud, en se dirigeant vers l'étang de Bages. La consultation du vieux cadastre pourrait peut-être éclairer la question, confirmer ou infirmer ce lieu.

On le voit dans l'article du Moniteur universel, les habitants de l'Aude accueillent favorablement ce membre de la famille royale. Mais, bien que prétendant au trône de France, Louis-Antoine d'Artois alias Louis XIX ne régnera jamais. Il cède ses droits à son neveu Henri d'Artois, comte de Chambord, prétendant au trône sous le nom de Henri V mais qui, pas plus que son oncle, ne deviendra roi de France.


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(1) D'autres "étangs salins" se trouvent un peu plus loin, mais dans ce cas on aurait sans doute nommer une autre paroisse, Fleury ou Gruissan par exemple, dont les terres abritent également quelques étangs.



Février 1925, l'équilibriste Blanche Orsola à Caunes-Minervois


Non, la carte postale ci-dessous ne représente pas Caunes-Minervois, mais l'équilibriste Blanche Orsola faisant son numéro dans une ville inconnue.

 



Mais elle a été écrite de Caunes, et le texte - assez long - au verso concerne cette ville.

 

Caunes le 21/2/25

Cher frère,

Je réponds à ta lettre que nous avons reçue mercredi ; tu nous dis qu'à Pexiora il n'y a pas grand chose de nouveau et ici je crois que c'est la même chose, si ce n'est la jeunesse qui s'apprête à boulotter les 400 fr. du notaire. L'autre semaine, nous avons eu une grande représentation d'équilibrisme : on avait tendu sur la place, de la Mairie à la maison de Durand, un câble d'au moins 15 m. de hauteur et une fille, celle de dessus la carte, l'a traversé en avant puis en arrière, s'est mise à genoux au milieu du câble et a chanté un refrain. Ensuite elle devait y passer avec la brouette, mais le vent ne l'a pas permis.

Je ne pense pas que papa aille à Castelnaudary avant l'inauguration du monument. Ici je vais toujours au garage et de temps en temps trappe (sic) quelques pourboires.

Je termine car je n'ai plus de place, et à bientôt le plaisir de se voir parmi vous. Papa et maman se joignent à moi pour t'embrasser bien fort.

Ton frère qui t'aime.

La carte est signé "Malric"

Blanche Orsola est issue d'une grande famille d'équilibristes depuis le XIXe siècle au moins. Peu d'infos sur elle hormis cela, et pour le moment je n'ai pas trouvé trace de son passage dans notre département en fouillant les journaux locaux. Mais il est probable qu'elle ait donné sa représentation dans d'autres villages alentours, et peut-être même à Carcassonne tout proche. Cette lacune d'informations rends le témoignage de cette carte d'autant plus précieux, car l'événement serait autrement resté irrémédiablement dans l'oubli. 



La famille Orsola existe encore aujourd'hui, et l'on peut voir un aperçu de leur histoire sur le site des Amis des funambules Orsola

 


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1906, une double tentative d'assassinat à Moussoulens

Si l'on dit qu'à notre époque la délinquance et les crimes sont de plus en plus nombreux, on s'aperçoit en épluchant les journaux du XIXe et début XXe que la violence et les délits étaient tout aussi fréquents qu'aujourd'hui. Nous avons déjà vu sur le blog quelques faits divers concernant des vols et des crimes dans le département, voici maintenant l'histoire d'une double tentative d'assassinat ayant eu lieu à Moussoulens le 20 avril 1906 au soir, rapportée par Le Courrier de l'Aude des 22/23 avril 1906, 24 avril 1906 et 3 août 1906.

Article du Courrier de l'Aude des 22/23 avril 1906 :

 

TENTATIVE D'ASSASSINAT - Dans la nuit de vendredi à samedi, à Moussoulens, deux jeunes gens, Paul Montagné, 23 ans, et Joseph Serres, 19 ans, se sont introduits par escalade dans la chambre où étaient couchées la veuve Cattenat et sa fille et ont porté aux deux femmes plusieurs coups de couteau.

Le parquet et la gendarmerie ayant été prévenus par dépêche, M. le capitaine de gendarmerie s'est transporté ce matin à la première heure à Moussoulens, d'où il a télégraphié que la tentative d'assassinat était caractérisée et l'état des victimes assez graves.

Elles ont reçu les premiers soins d'un étudiant en médecine.

Montagné a été arrêté et il a déclaré qu'il était seul l'auteur de la tentative de meurtre.

Le parquet de Carcassonne accompagné de M. le docteur Peyronnet, médecin légiste, s'est transporté cet après-midi sur les lieux.

Voici de nouveaux détails que nous avons pu recueillir dans la journée auprès d'habitants de Moussoulens, venus au marché, sur la tentative d'assassinat commise la nuit dernière dans la localité :

Il était dix heures et demie quand Montagné a pénétré par escalade et en brisant les carreaux d'une fenêtre dans la maison de la veuve Cattenat. Peu après, les consommateurs d'un café voisin qui se trouve en face entendirent les cris désespérés de la mère et de la fille sur qui le misérable s'acharnait à coups de couteau. La population accourut. La veuve Cattenat échappa au meurtrier et descendit dans la rue par l'échelle même qui avait servi à Montagné. Sa fille qui poussait des cris à la fenêtre opposée était retenue par Montagné qui la frappait à coups répétés ; elle parvint à se dégager et sauta à son tour dans la rue. On transporta les deux pauvres femmes dans le café voisin où les soins leur furent prodigués. La mère aurait reçu sept coups de couteau dont un au ventre et la fille six. 

On ne savait encore qui était le meurtrier ; Un habitant ayant tiré un coup de fusil Montagné parut à la fenêtre et se fit connaître.

C'est un garçon boulanger, marié depuis un an à peine à Moussoulens ; sa femme est sur le point d'accoucher. Ajourné deux fois par le conseil de révision, il avait été déclaré bon pour le service cette année.

On ne s'explique pas jusqu'ici le mobile de cette double tentative de meurtre. D'aucuns supposent que c'est le vol, Montagné ayant pu croire qu'un neveu de la veuve Cattenat qui était venu la voir récemment lui avait laissé de l'argent, car elle est plutôt d'ordinaire dénuée de ressources.

L'enquête des magistrats qui ne sont pas encore rentrés à l'heure où nous écrivons ces lignes, aura certainement fait la lumière sur ce point.

D'après les derniers renseignements il n'est plus question, comme on voit, de la participation au crime du nommé Joseph Serres dont faisait mention la première dépêche reçue par le procureur de la République.

Montagné a été gardé à vue à la mairie de Moussoulens, en attendant l'arrivée du parquet.

 

Le numéro suivant (24 avril) revient brièvement sur cette affaire, en indiquant un état critique de la veuve Cattenat. Fort heureusement, celle-ci s'est bien remise par la suite, ainsi que sa fille.

 

DOUBLE TENTATIVE D'ASSASSINAT - Paul Montagné, l'auteur de la double tentative d'assassinat commise à Moussoulens dans la nuit de vendredi à samedi dans les circonstances que nous avons racontées a été transféré à Carcassonne samedi soir et écroué à la maison d'arrêt dès son arrivée.

L'état de la veuve Cattenat est assez grave ; elle a été littéralement lardée de coups de couteau ; on a relevé sur son corps quatorze blessures (1) ; celle qu'elle a reçue au bas ventre fait redouter des complications.

Quant à la jeune fille qui a reçu dix coups de couteau, ses jours ne sont pas en danger, mais elle a l’œil gauche sérieusement atteint.

Des aveux mêmes de l'assassin, il résulte que le vol a été le mobile du crime.


Le Courrier de l'Aude du 3 août 1906 détaille l'audience de la Cour d'assises. L'accusé est maintenant nommé Hippolyte Montagné au lieu de Paul Montagné, peut-être y a-t-il eu une erreur dans les premiers articles, ou bien l'homme porte un deuxième prénom.

 

 Cour d'assises

Présidence de M. Unal, conseiller à la Cour d'appel de Montpellier, assisté de MM. Clergue, juge, et Azaïs, juge suppléant, au tribunal civil de Carcassonne.

Audience du 2 août 1906

TENTATIVE D'ASSASSINAT ET DE VOL QUALIFIÉ

L'audience est ouverte à 9 h. 3/4.

M. Roux, procureur de la République, occupe le siège du ministère public.

Me Soum est assis au banc de la défense.

L'accusé est un nommé Hippolyte Montagné, âgé de 23 ans, garçon boulanger, né à Caudebronde, domicilié à Moussoulens qui comparaît sous l'inculpation d'une tentative de vol qualifié et d'une double tentative d'assassinat. 

Au moment où M. le président va tirer de l'urne les noms des jurés,  l'un de ces derniers, M. Émile Clarenc, l'interpelle et l'invite à remuer les boules afin dit-il, qu'il ne sorte pas toujours les mêmes.

M. le président répond au juré qu'il aurait pu se dispenser de lui faire pareille observation, et qu'il connaît suffisamment son devoir pour qu'il n'ait pas à le lui indiquer.

Acte d'accusation

Le jury constitué, M. Auriffeuille, greffier en chef, donne lecture de l'acte d'accusation :

Dans la nuit du 20 au 21 avril dernier, vers 10 heures du soir, la veuve Cattenat, qui était couchée dans une chambre du 1er étage, entendit ouvrir de l'extérieur les contrevents de la fenêtre qui n'étaient que poussés et vit apparaître derrière les vitres une figure humaine. Elle se leva aussitôt et se dirigea vers la fenêtre mais l'individu qui se présentait ainsi brisa un carreau, fit jouer l'espagnolette, sauta dans la chambre et se précipita sur la veuve Cattenat qu'il frappa de plusieurs coups d'un couteau qu'il tenait ouvert dans la main. Aux cris poussés par la dame Cattenat, sa fille Marie Louise, âgé de 16 ans, qui couchait dans la même chambre, se réveilla et se porta au secours de sa mère. Elle fut à son tour frappée par cet individu de plusieurs coups de couteau. Des voisins attirés par les cris étaient accourus, le meurtrier abandonna ses victimes et se réfugia au rez-de-chaussée par où il espérait s'enfuir. La mère descendit ensanglantée par l'échelle qui avait servi au meurtrier pour atteindre la fenêtre du premier étage, et sa fille se jeta par une croisée d'une autre chambre dans la rue où se tenaient plusieurs personnes pour la recevoir. Toutes deux furent conduites dans une maison voisine pour y recevoir des soins.

L'auteur de l'agression chercha à fuir par la porte de la cuisine mais il fut accueilli dès qu'il parut par un coup de fusil qui ne l'atteignit pas et le fit rentrer (2). Craignant pour ses jours, il cria alors qu'il était Montagné, le garçon boulanger, et qu'il se rendait. On se saisit de lui.

Il reconnaît aussitôt que s'il avait pénétré chez la veuve Cattenat c'était pour la voler et il renouvela cet aveu à diverses reprises. Ce n'est que plus d'un mois après son arrestation qu'il a imaginé un autre système. Il a prétendu que s'il était allé chez la veuve Cattenat, c'était non pas pour la voler mais pour voir la fille qui lui avait donné rendez-vous. Marie Louise Cattenat a protesté énergiquement.

Il paraît dans tous les cas invraisemblable qu'elle ait donné un rendez-vous à Montagné, alors qu'elle occupait la même petite chambre que sa mère. Les coups de couteau portés par Montagné, quoique nombreux, quatorze pour la mère et dix pour la fille, n'ont entraîné aucune conséquence grave.

En conséquence, Montagné est accusé 1° De tentative de vol la nuit, à l'aide d'escalade et d'effraction dans une maison habitée ; 2° D'une double tentative de meurtre.

Interrogatoire de l'accusé

L'accusé n'a pas subi de condamnation, mais il paraissait pour un paresseux et un débauché. Montagné n'avait pas de ressources. Il était marié depuis un an à peine au moment du crime. Il est devenu père quelques jours après son arrestation. 

Le 19 avril au soir, Montagné entra sans frapper chez un voisin M. Micoulau.  L'accusation suppose qu'il allait dans cette maison pour voler, ce que nie l'accusé. 

Questionné sur le mobile qui l'emmena le lendemain chez la veuve Cattenat,  Montagné répond que la demoiselle Marie Louise Cattenat lui avait donné un rendez-vous pour 9 heures.

M. le président. -  Cette explication est invraisemblable. D'abord vous êtes arrivé à 10 heures au lieu de 9 heures. Puis vous saviez que la fille Cattenat couchait dans la même chambre que sa mère. 

L'accusé. - La jeune fille m'avait dit que sa mère était absente,

M. le président. - Pourquoi avez-vous déclaré tout d'abord que vous étiez allé chez les dames Cattenat pour voler ?

L'accusé. - Je ne l'ai pas dit.

M. le président. - Pourquoi n'êtes-vous pas passé par la porte, du moment que la mère de la jeune fille, d'après vous n'était pas là.

L'accusé. - Parce que la porte craquait.

Vainement M. le président insiste pour obtenir de l'accusé l'aveu qu'il est allé dans la maison Cattenat pour voler. Montagné persiste à affirmer qu'il allait au rendez-vous que lui avait donné la jeune fille.

Les témoins

 M. le docteur Peyronnet, de Carcassonne, qui fut appelé à faire les constatations médico-légales, dit que la dame Cattenat présentait 14 blessures dont une à l'abdomen ; la jeune fille en avait reçu 10, dont une à l’œil gauche ; ces blessures étaient superficielles et les deux femmes furent complètement rétablies au bout d'une vingtaine de jours. 

Élisa Cattenat, 53 ans, ménagère à Moussoulens, un (sic) des deux victimes de l'accusé, raconte comment Montagné pénétra dans sa maison. 

Elle était réveillée quand il ouvrit les volets et brisa le carreau de la fenêtre. Elle se leva aussitôt et c'est elle que Montagné frappa la première. 

L'accusé avait prétendu avoir frappé d'abord la jeune fille.

À aucun moment elle n'avait dit à sa fille qu'elle dut s'absenter. Lorsqu'il lui est arrivé de s'absenter la nuit, sa fille est allée coucher chez des amis.

Marie Louise Cattenat, 16 ans, fille du précédent témoin, nie avoir donné de rendez-vous à Montagné, et avoir jamais eu aucune espèce de relations avec lui.

L'accusé persiste dans ses affirmations.

Nicolas Mallet, 46 ans, gardien chef de la prison de Carcassonne, raconte certaines excentricités auxquelles l'accusé se livra à la maison d'arrêt. Le 28 avril, il se fit prêter un couteau par un camarade et se taillada le mollet. Il déclara qu'il voulait se suicider (!) Quelques jours après, il fit un tapage d'enfer dans sa cellule au milieu de la nuit. Questionné, il répondit qu'il voulait être interné à Limoux. Plus tard il se taillada tout le corps avec un morceau de lame de corset.

C'était, dit-il, pour souffrir lui-même ce qu'il avait fait souffrir à ses deux victimes.

Huit jours de cellule suffirent pour faire cesser ces excentricités.

Denis Nicouleau (3), 73 ans, propriétaire à Moussoulens. - C'est le témoin chez qui Montagné se rendit le 19 avril, vers 9 heures du soir. À la réflexion, cette visite tardive lui parut suspecte.

Jean Beauguil, 24 ans, maréchal-ferrant à Moussoulens. - Ce témoin arriva un des premiers devant la maison Cattenat, aux cris des victimes. Il donne des détails sur l'arrestation de Montagné qui ne se fit connaître qu'après le coup de fusil tiré par un de ses camarades.

Après l'audition de ce témoin, l'audience est suspendue et renvoyée à 2 heures et demie.

À la reprise, on continue l'audition des témoins.

Pierre Joseph Maisonneuve, 35 ans, garde-champêtre à Moussoulens. - C'est lui qui procéda à l'arrestation de Montagné. L'accusé lui déclara tout d'abord qu'il avait un complice, un Espagnol, nommé Serres, qui se trouvait dans la maison Cattenat, porteur d'un long couteau, ce qui était inexact. Au sujet du mobile du crime, Montagné lui dit d'abord qu'il était allé chez la veuve Cattenat sur un coup de tête pour passer un moment, puisque c'était pour la voler. 

Joséphine Guilhem, 21 ans, de Moussoulens, déclare que Marie Louise Cattenat passa à sa maison l'après-midi du 20 avril, de midi à 3 heures, contrairement à l'affirmation de l'accusé qui prétend s'être rencontré  à midi dans le jardin Ouradou avec la fille Cattenat qui lui donna à ce moment le rendez-vous pour le soir.

Le témoin ignore et n'a jamais entendu dire que son amie ait eu des relations avec Montagné.

M. Louis Combes, maire de Moussoulens, donne à son tour tous les renseignements qu'on connaît déjà sur les circonstances du crime. À M. Combes, Montagné parla aussi tout d'abord du complice Serres ; c'est seulement plusieurs heures après qu'il avoua qu'il était seul. Il indiqua le vol à deux reprises comme mobile de son crime.

D'après le témoin, la réputation de l'accusé ne fut pas mauvaise tant qu'il fut garçon, mais une fois marié, il ne travaillait pas toujours et s'occupait à marauder et à braconner.

Sans accuser Montagné d'en être l'auteur M. Combes constate que de nombreux méfaits avaient été commis avant son arrestation, ces vols cessèrent aussitôt après son incarcération.

Le réquisitoire

Cette affaire est très grave, dit M. le procureur de la République au début de son réquisitoire et comporte la peine capitale.

Il n'ira pas cependant jusqu'à réclamer une peine aussi rigoureuse étant donné les circonstances du crime. 

M. le procureur s'attache à établir que Montagné n'est allé chez la veuve Cattenat que pour voler. L'accusé était sans travail, besogneux, il savait que la veuve Cattenat avait reçu la visite d'un cousin (4) qui avait pu lui laisser quelque argent. Montagné l'a du reste déclaré lui-même à maintes reprises, devant le juge de paix, devant le maire, devant le procureur de la République et devant le juge d'instruction. C'est seulement longtemps après, au cours de l'instruction, qu'il a adopté le système de défense consistant à dire qu'il était allé à un rendez-vous.

L'organe du ministère public montre l'invraisemblance et la fausseté d'un pareil système.

En ce qui concerne la double tentative de meurtre, M. le procureur attribue à l'accusé l'intention de tuer, lorsqu'il frappa la mère et la fille Cattenat, ce n'est pas de sa faute si les coups qu'il a portés n'ont pas entraîné la mort.

En tout cas, M. le président ayant annoncé qu'il poserait la question subsidiaire de simples coups et blessures, l'organe du ministère public laisse à la conscience de MM. les jurés le soin d'apprécier s'ils doivent répondre affirmativement à la question de tentative d'homicide ou à celle de coups et blessures.

Il ajoute que loin de s'opposer à l'admission des circonstances atténuantes, il est le premier à les demander en faveur de Montagné dont les antécédents ne sont pas mauvais, qui est encore jeune et appartient à une honorable famille.

C'est à un verdict ainsi mitigé que M. le procureur conclut son éloquent réquisitoire.

Après une courte suspension d'audience, la parole est donnée à Me Soum pour

Le plaidoyer

L'accusé, dit le jeune et brillant défenseur, est un enfant, un déprimé, plutôt qu'un criminel. Il n'a pas d'antécédent. L'argent qu'il gagnait, il le porte à sa femme, allant jusqu'à lui demander de lui laisser les 50 centimes dont il a besoin pour ses menus plaisirs du dimanche.

On a reproché à Montagné ses variations dans les diverses déclarations  au cours de l'instruction, mais il n'a pas varié devant le jury.

Me Soum discute un à un les arguments de l'organe du ministère public,  et s'efforce d'établir que le système de défense de Montagné peut être l'expression de la vérité.

Il n'y a eu en tout cas ni tentative de vol ni tentative de meurtre.

Et ce qui le prouve, c'est que la Cour a jugé à propos de poser la question subsidiaire de coups et blessures.

Le défenseur montre la gravité de la peine à laquelle le jury exposerait Montagné, 2 ans de prison s'il répondait affirmativement à cette question subsidiaire.

Montagné va être appelé à la caserne au mois d'octobre prochain pour faire une année de service ; là il apprendra ce qu'il ignore encore des devoirs de la vie.

Dans une émouvante péroraison, l'éloquent défenseur adjure le jury de rapporter en sa faveur un verdict d'indulgence, c'est-à-dire d'acquittement.

Le verdict

Après une heure de délibération, le jury revient avec un verdict négatif sur les questions de tentative de vol et de tentative d'homicide, affirmatif sur la question subsidiaire de coups et blessures sans circonstances atténuantes.

En conséquence de ce verdict, la cour condamne Montagné à deux ans de prison.

L'audience est levée à 7 heures.

 

Montagné, qui risquait la peine de mort pour ses actes, s'en sort à bon compte avec ces deux années d'emprisonnement.  S'est-il rangé ensuite ? En tout cas, nous n'avons pas retrouvé trace d'autres délits de sa part qui auraient pu être rapportés dans les journaux locaux.

 

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(1) Donc le double de coups en ce qui concerne la mère, par rapport à ce qui avait été d'abord annoncé dans le premier article ; et également quatre coups de plus pour la fille, dix au lieu de six.

(2) La version donnée dans l'article du 22 avril 1906 était donc incorrecte, lorsqu'il était dit que le meurtrier était paru à la fenêtre après qu'un habitant de Moussoulens ait tiré un coup de fusil. Version qui paraissait d'ailleurs tout à fait illogique.

(3) Le nom indiqué plus haut était "Micoulau". 

(4) Dans l'article du 22 avril, il était dit un neveu ! 

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