mardi 15 juin 2021

15 juin 1785, une trombe de terre dévaste le village d'Escales !

On connaît régulièrement sous nos latitudes et à notre époque des phénomènes météorologiques dévastateurs. Les siècles passés n'ont toutefois pas été épargnés par de tels événements. Le 15 juin 1785, le territoire d'Escales, dans le diocèse de Narbonne, a ainsi été dévasté par une violente trombe de terre, véritable ouragan que rien ne semblait annoncer, tant les heures précédentes avaient bénéficié d'un climat doux et d'un ciel serein. Le phénomène est décrit en détail par M. de Marcorelle dans une publication de la très sérieuse Académie Royale des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse, en 1788 (1).


Description d'une trombe de terre, par M. de Marcorelle

Dans un Mémoire au sujet d'une trombe de terre qui parut sur la montagne d'Alaric, Diocèse de Carcassonne, le 6 août 1776 (2), M. de Marcorelle fit part à l'Académie des Sciences de Paris, de ses conjectures sur les causes qui concourent à la formation des trombes de mer ou typhons, et des trombes de terre ; aussi son dessein n'est pas d'indiquer ici quelles sont ces causes. Il se borne à la simple description de la trombe de terre qui dévasta le territoire d'Escale et ses environs le 15 juin 1785.

Le lieu d'Escale est situé à quatre lieues de la ville de Narbonne, dans la partie occidentale du Diocèse du même nom, latitude 43 degrés 11 minutes 13 secondes, longitude 40 minutes du méridien de Paris, élévation au-dessus du niveau de la mer, 60 pieds.


 

La nuit qui précéda le terrible météore décrit par M. de Marcorelle, fut très-belle ; l'aurore parut brillante, et le lever du soleil ne fut obscurci par aucun nuage. L'air était calme et pur ; le ciel sembloit annoncer le plus beau jour. À six heures et demie du matin, la chaleur devint très piquante ; elle augmenta jusque vers les sept heures, qu'elle fut excessive ; alors parut vers le côté de l'ouest un petit nuage d'un caractère sinistre : il grossit peu à peu. À mesure qu'il prenoit de la consistance, et qu'il se développoit, sa teinte était plus brune et plus foncée ; enfin il s'étendit au point que dans l'espace d'une heure, il couvrit tout l'horizon ; le soleil disparut, et le temps resta obscur et nébuleux. Le mercure du thermomètre de Réaumur, exposé à l'air libre et à l'ombre, au nord, à la hauteur de 16 pieds au-dessus de la surface de la terre, se trouva, le 15 juin au matin, à 29 degrés au-dessus de la glace, et celui du baromètre lumineux, placé à 12 toises au-dessus du niveau de la mer, à 27 pouces 11 lignes par un vent d'ouest très-faible. Tel fut l'état de l'athmosphère jusqu'à deux heures après midi. 

À cette époque se forma du côté de l'ouest une espèce de colonne fumeuse, bruyante, et d'une hauteur énorme. Cette colonne, d'abord immobile, s'ébranle et s'avance vers le territoire d'Escale ; mais le vent ne la poussant pas directement vers ce lieu, elle passe entre la terre d'Escale et Montbrun. Dans sa marche elle enlève la terre et le gravier, déracine les arbres, et ravage tout ce qu'elle trouve sur sa route ; l'activité de son tourbillon s'étendit jusqu'à Escale. Les Laboureurs qui étoient aux champs eurent à peine le temps de se mettre à couvert de l'impétuosité du vent ; la violence de l'ouragan mit en danger quelques autres qui vanoient dans l'aire, d'être en même-temps aveuglés et suffoqués par la poussière : ils ne se garantirent qu'en se couchant la face tournée vers la terre. La graine qu'ils vanoient fut dispersée par le vent, et perdue. Cette tempête dura l'espace de cinq minutes. Ces Paysans la voyant un peu calmée, se levèrent en se félicitant d'avoir échappé au danger ; mais ils s'apperçurent bientôt que la trombe s'étoit arrêtée à une lieue et demie de distance près du village de Paraza. Parvenue à cette hauteur, le vent d'est qui souffloit dans cette partie, avoit arrêté les progrès de sa marche. Elle parut stationnaire pendant cinq minutes ; elle lutta inutilement contre cet obstacle ; elle céda et revint sur ses pas. Obligée de rétrograder, elle en parut plus furieuse. Le bruit qu'elle faisoit ressembloit au roulement continuel du tonnerre, ou au mugissement de la mer en courroux. À mesure qu'elle approchoit, ce bruit étoit plus effrayant. Elle fondit enfin sur Escale, son explosion fut terrible. Un ouragan plus fort que le premier fut accompagné d'une quantité de grêle épouvantable. Pendant la chute de cette grêle, le tonnerre gronda sans cesse ; l'air fut continuellement embrasé, et la foudre tomba plusieurs fois avec fracas sur le Village et les environs. À la grêle, qui dura douze minutes, succéda une pluie si abondante, que les fossés ne pouvant la contenir, la campagne fut entièrement inondée ; elle dura trois quart d'heure, et termina cette scène désastreuse, pendant laquelle la liqueur du thermomètre monta à 32 degrés au-dessus de la congélation, et celle du baromètre à 28 pouces 1 ligne, par un vent d'est très-violent.

Les ravages qu'avoit fait ce météore, offrirent le spectacle le plus déplorable. les arbres étoient dépouillées de leurs feuilles, les vignes hachées ; les récoltes de toute espèce foulées et comme anéanties. Les grêlons pesoient 6, 8 et 10 onces ; leur diamètre étoit de 10, 13 et 14 lignes : ils étoient de différentes formes, ronds, coniques, triangulaires, et le plus grand nombre elliptiques. L'impétuosité de leur chute et leur grosseur étoient telles, qu'on voit encore sur le nouveau crépi du mur du château, une multitude de trous elliptiques, dont la plupart ont jusqu'à 15 lignes de grand diamètre sur 6 lignes de profondeur. Leur forme a été déterminée par la ligne que les grêlons parcouroient au moment de leur chute. Détournés de leur direction perpendiculaire par la force horizontale du vent, et poussés obliquement contre le plan vertical des murs, ils ont dû nécessairement faire des empreintes sur le crépi, d'une forme oblongue, assez semblable à celle de l'ellipse. La remise fut renversée par la foudre ; elle tomba encore sur la tour d'Escale. Quantité de gros arbres avoient été brisés et déracinés ; le château et plusieurs maisons très endommagés, etc. Les détails des malheurs causés par ce météore dans les cantons qu'il a parcourus, seroient trop longs à décrire. Après qu'il eut disparu, le temps se refroidit : le mercure du même thermomètre descendit à 27 degrés au-dessus de la glace, et celui du baromètre s'éleva à 28 pouces 2 lignes par un vent d'est.

Le 15 juin 1785, la foudre est tombée sur la tour d'Escales, restes du château médiéval déjà abandonné au moment des faits relatés ici

  

"Le Château" : surplombant partiellement Escales, c'est cette imposante bâtisse qui est citée dans l'article et dont le crépi neuf a été marqué par la chute de grêle

Escales, "Le château"

Comme on le voit dans cet article, le phénomène est non seulement extrêmement violent, mais aussi extrêmement localisé : si la trombe s'approche d'autres villages - Montbrun, Paraza -, elle ne semble pas les toucher ; par ailleurs, aucune autre localité du secteur n'est citée, pas même Roquecourbe et Castelnau-d'Aude tous proches, et alors que la trombe s'est formée en direction de l'ouest selon la description de M. de Marcorelle, donc vraisemblablement non loin du village de Roquecourbe. Paraza n'est nommé qu'en point de repère, le village de Roubia étant plus proche, mais ce dernier ne semble pas non plus avoir subi de dommages en ce 15 juin 1785. L'ouragan s'est maintenu tout autour et sur le village d'Escales, le ravageant de part en part.

On constate également dans ce texte que ce n'est pas le seul phénomène de ce type ayant eu lieu dans le secteur. Un peu moins de dix ans plus tôt, une trombe de terre s'abattait sur la montagne d'Alaric, non loin de là. Et d'autres phénomènes météorologiques violents, analogues à celui-ci ou pas, ont dévasté différents lieux du département de l'Aude au cours des siècles, comme à Leuc, par exemple.

Mais l'histoire n'est pas finie... En septembre 1785, le conseil politique de la communauté d'Escales (3) se réunit sous l'égide de son premier consul (4), Dominique Vitalis, pour délibérer au sujet des ravages météorologiques récents. Dominique Vitalis prend la parole, exposant (5)

...que l'orage arrivé le 15 juin dernier au moment où l'on alloit couper la récolte des grains, a causé un dommage infini à la plupart des habitants, qu'il tomba une si grande quantité de grêle et d'une grosseur si extraordinaire que les bleds, sègles, et autres grains ont été presque entiers emportés, les oliviers très ravagés, et les vignes tout à fait dégradées, que ces pertes sont d'autant moins suportables pour les habitants qui ont eu le malheur de les éprouver, qu'il est important de faire observer que les grandes pluies des mois 8bre, de novembre et de Xbre de l'année dernière 1783 (6) noyeroient (sic) une grande partie des terres ensemencées, qu'au moyen de ce, l'autre partie des terres ne peut pas se semer, ce qui a réduit les dits habitants dans la plus affreuse indigence, jusqu'au point d'être privé de la paille pour nourrir leurs bestiaux, au surplus, l'année aussi dernière 1784, ils ont également perdu une partie de leurs semences à raison des pluies continuelles qui tomberoit (sic) l'hiver et que les grains qu'ils ont pu lever ont donné bien peu de récolte à cause de la sécheresse du printemps, qu'enfin toutes ces pertes réunies metoient les habitants dans la désolation et hors d'état de payer les charges.

On apprend donc dans cette séance que non seulement les habitants d'Escales viennent de subir un événement météorologique majeur violent, mais que l'année précédente, 1784, a été ponctuée de pluies continuelles noyant les terres, entrecoupée d'une importante période de sécheresse au printemps, réduisant les récoltes à presque rien. En fait, une succession de phénomènes naturels qui mit en péril toute une communauté.

Le premier consul Dominique Vitalis poursuit la séance en détaillant l'ensemble des dégâts faits aux cultures, en citant les lieux-dits et en y associant les noms des habitants concernés. Cette liste ne prend pas moins de huit pages du registre de délibérations ! 

La séance se termine en précisant "de présenter copie de la présente délibération à qui de droit et de soliciter instament les indemnités requises."

Pour conclure, ce genre de phénomènes violents, souvent localisés, n'appartient pas en propre à notre époque, pas même qu'il n'appartient au passé. Ces événements ont toujours existé, à toute époque, en fonction de multiples facteurs difficiles à déterminer (ici, la violence du phénomène faisait immédiatement suite à une belle nuit, très calme et sereine). L'homme doit y faire face et en subir les dommages, inexorablement.

 

N. B. Vous êtes intéressé par cet article et vous voudriez l'utiliser en tout ou en partie pour une publication papier ou numérique ? Merci de m'en formuler la demande via la page "contact" (publications libres mais soumises à conditions).

(1) Description d'une trombe de terre, par M. de Marcorelle, in Histoire et Mémoires de l'Académie Royale des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse, tome troisième, imprimerie de D. Desclassan, 1788, pp. 114-118.

(2) Inséré dans le onzième volume du Recueil des Savans étrangers (note de bas de page dans l'article d'origine). 

(3) Qui correspond à nos actuels conseils municipaux.

(4) Autrement dit, ce que l'on appellera plus tard le maire. 

(5) Archives en ligne de l'Aude, registre des délibérations communales d'Escales, côte 107NUM/AC126/1D3.

(6) Sans doute une erreur puisque l'année précédente est 1784.

 

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