mardi 15 juin 2021

1906 : Gaspa, maire de La Nouvelle, profane l'église !


 Le 9 décembre 1905 est votée la loi de séparation des Églises et de l'État, et en janvier 1906 est lancée sur ordre du gouvernement une vaste opération d'inventaire du mobilier des églises de France. Cette campagne d'envergure n'est pas sans conséquences, ainsi à Cominac (Ariège), la population s'opposant à l'inventaire interdit l'accès de l'église par la présence de plusieurs ours.

Ailleurs, ces opérations d'inventaire ont donné lieu à tout un tas de débordements et de dégradations. Tel a été le cas à Port-la-Nouvelle, où le lieu de culte a été littéralement envahi et dévasté par des individus peu scrupuleux. Le Pèlerin n° 1521 du dimanche 25 février 1906 s'est fait l'écho de ces événements.

 

INFAMIES ET PROFANATIONS

Si quelques-uns conservent encore des doutes sur les conséquences de la loi de séparation, le récit des infamies commises à La Nouvelle achèvera de les éclairer.

En ordonnant l'attaque des églises, le gouvernement a soulevé les plus basses passions. À Paris, les apaches sont venus d'eux-mêmes se joindre à ses agents ; en province, les plus infâmes vauriens se sont faits tout de suite ses auxiliaires.

Mais nulle part on n'a vu d'aussi tristes choses qu'à La Nouvelle, petit port de 2400 habitants sur la Méditerranée, arrondissement de Narbonne, dans l'Aude.

Il y a là-bas un maire pharmacien, du nom de Gaspa, qui, quinze jours à l'avance, promettait bruyamment à la canaille dont il s'entoure une fête et une belle fête pour le jour de l'inventaire. Commissaire, garde champêtre, fossoyeur avaient été pourvus  de menottes pour emmener tous les catholiques au poste.

Quand le receveur se présenta, il ne trouva dans l'église que M. le curé et quelques dames venues là pour réserver leurs droits sur des objets donnés par elles. Après la digne protestation du prêtre, l'inventaire avait commencé dans le plus grand calme, lorsqu'une troupe avinée, conduite par le maire, pénétra dans le lieu saint.


Illustration tirée du Pèlerin.

 

Gaspa interpelle le receveur et s'étonne qu'il opère sans son concours. Mais déjà la troupe des chenapans, aux bras de femmes échevelées, emplit l'église de ses clameurs immorales. Le maire lui-même a fait venir auprès de lui l'une des dignes personnes qui entouraient le curé, et il a proféré des expressions qui font pleurer. Là, M. le curé est intervenu ; mais la bande dévalisait et profanait l'église.

L'un des individus s'était mis au confessionnal, avait brisé la grille avec une hache, et les femmes de cette horde infernale venaient là faire les simagrées les plus inadmissibles et les plus éhontées.

Tout fut odieusement sali, les confessionnaux, les chapelles, les autels. Un individu allait d'une statue à l'autre, traitant les saints d'ivrognes et les sommant de descendre de leur piédestal. Le crucifix fut insulté.


Illustration tirée du Pèlerin

 

On trouva un plumeau à la sacristie. On le passa sur la figure du vénérable curé ; on trouva spirituel de le coiffer d'un bonnet rouge ; on insulta tout le monde, jusqu'au receveur d'enregistrement lui-même.

Le maire avait amené son chien. À la table de communion, on lui fit avaler des hosties prises à la sacristie, on le plaça dans le tabernacle.

Linges d'autel, lustres et candélabres, tout fut empilé au milieu de l'église ; on y mit le feu et la tourbe dansa autour du bûcher une sarabande effrénée. Enfin les malfaiteurs se retirèrent ; les femmes emportaient dans leur tablier ample provisions d'objets utiles, notamment de bougies.

Les impudiques et les voleurs ont compris que l'heure était venue pour eux de sortir de leur repaire.

Le gouvernement couvrira-t-il de tels alliés ?

 

Quelques jours plus tôt, le journal L'Alliance du 18 février 1906 avaient détaillé ces mêmes événements :

Exploits d'apaches - Il s'agit des apaches de La Nouvelle conduits, excités par le maire Gaspa. Cérétans, nous l'avons échappé belle. Vous vous souvenez que ce Gaspa a failli devenir notre Sous-Préfet ; que ce Gaspa était le candidat favori de Pujade ; et que ce Pujade a fait des pieds et des mains pour nous imposer ce Gaspa. Joli cadeau que voulait faire Pujade à la ville et à l'arrondissement de Céret ! Vous savez ce que vient de faire le maire-droguiste Gaspa à l'occasion de l'inventaire de l'église de La Nouvelle ? Il est entré dans l'église pendant que l'agent du fisc inventoriait, conduisant une centaine de vauriens ; et ces bandits se sont livrés, dans le lieu saint, aux plus abominables sacrilèges. C'est à peine si la plume ose raconter ces scènes sauvages. Les autels ont été souillés avec les matières les plus impures ; les confessionnaux, la chaire, etc., ont été salis d'une façon épouvantable. On a ramassé des chaises au milieu de la nef, on y a mis le feu et une sarabande infernale a été dansée autour de cet autodafé. On a mis le feu aux bouquets placés sur les autels..... Et enfin, chose infâme, les forcenés ont enfermé un petit chien dans le tabernacle...

Assez, n'est-ce pas ? Assez ! Tu choisis bien tes amis, Pujade ! Céret s'en souviendra à l'heure voulue. Car voilà ce qui aurait pu nous arriver si Pujade avait réussi à réaliser ses plans... À la porte les sectaires !

 

Malgré les faits, L'Éclair du 10 mars 1906 rapporte dans ses colonnes que,

Dans sa séance du 3 mars, le conseil municipal de La Nouvelle s'est solidarisé avec Gaspa, son digne maire, pour l'affaire des déprédations et incongruités commises dans l'église, le jour de l'inventaire, sous la direction et l'entière responsabilité dudit Gaspa. Rien de surprenant à cela : il eut été vraiment trop héroïque pour les conseillers municipaux de La Nouvelle d'oser blâmer leur maire. Des valets ne montent pas ordinairement jusqu'au blâme de leur maître.

Ce qui est plus étonnant, c'est que le conseil municipal de La Nouvelle ait la prétention de laver ledit Gaspa. Mais, citoyens, pour laver quelqu'un ou quelque chose, il est nécessaire d'avoir les mains propres.

 

L'élu s'en sort très bien puisque le 3 août 1906, à peine six mois après les événements, Le Courrier de l'Aude nous apprend que

M. Gaspa, maire de La Nouvelle, est nommé directeur de l'asile d'Armentières.

 

Mais la rédaction du journal s'offusquant de ce fait, rajoute en note :

Est-ce la récompense du sac de l'église de La Nouvelle ? Nous ne connaissons pas à M. Gaspa d'autres "titres exceptionnels" selon la formule administrative.


Le courrier de l'Aude, 3 août 1906


Passés les événements, malgré le calme retrouvé dans la petite ville de Port-la-Nouvelle, cet épisode désastreux a dû rester longtemps dans les mémoires. 


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