mardi 15 juin 2021

Mai 1814 : Une visite inattendue dans l'Aude de Louis-Antoine d'Artois, duc d'Angoulême

Louis-Antoine d'Artois (1775-1844), duc d'Angoulême, est le neveu de Louis XVIII - roi de France au moment des faits évoqués ici - et le fils de Charles-Philippe de France, comte d'Artois, qui succédera au trône sous le nom de Charles X. 

En mai 1814, Louis-Antoine d'Artois se rend à Toulouse, au départ de Bordeaux. Ce trajet n'atteint pas l'Aude, mais après avoir rencontré le baron Trouvé et sa délégation, venus spécialement, Son Altesse Royale émet vivement le vœu de visiter le département. Et c'est en grande pompe que le duc d'Angoulême est reçu sur les terres audoises, comme le raconte longuement Le Moniteur Universel n° 138 du mercredi 18 mai 1814.


Carcassonne, le 6 mai

Aussitôt qu'on fut informé dans cette ville que S. A. R. le duc d'Angoulême  devait se rendre de Bordeaux à Toulouse, M. le baron Trouvé, préfet de l'Aude, accompagné des députations du conseil-général et des conseils municipaux, s'empressa d'aller dans cette dernière ville et y présentèrent au prince les hommages du département.

S. A. R. ayant fait connaître que son intention était de visiter le département de l'Aude, et d'y passer la revue des armées, toutes les dispositions furent prises pour la recevoir.

M. le préfet de l'Aude se trouva à sa rencontre à une lieue de la ville ; le prince parut écouter avec un intérêt marqué cette partie du discours du préfet :

"Monseigneur, le département de l'Aude vous offre une physionomie particulière et peut-être unique en France. Il n'a point été ensanglanté par les fureurs de l'anarchie ; il n'a point été la proie des ressentimens, des réactions et des vengeances ; il était impatient de faire éclater son respect, sa fidélité, son amour pour la famille des Bourbons. Si la ville de Castelnaudary a joui la première de la vue d'un prince qui fait l'espoir, qui fera les délices de la patrie, les villes de Carcassonne et de Narbonne  brûlent aussi de partager cette heureuse jouissance, et de prouver leur enthousiasme et leur dévouement à V. A. R. (sic) et au Souverain que la main de la Providence a replacé sur le trône de S. Louis et de Henri IV."


 

 

Cent coups de canons annoncèrent l'arrivée de S. A. R., qui monta à cheval ayant à ses côtés les maréchaux duc de Dalmatie et d'Albufera. Les troupes bordaient la ligne et faisaient entendre sur tous les points du passage le cri de vive le Roi !

Les habitans de Carcassonne firent éclater à l'entrée du prince un enthousiasme auquel il parut très-sensible.

Il admit ensuite à l'hôtel de la préfecture les différentes députations qui se présentèrent, et fut conduit dans le même appartement qu'avait occupé, en 1777, Monsieur ; aujourd'hui S. M. Louis XVIII.

Après le souper, Mgr le duc d'Angoulême voulut bien honorer de sa présence le bal qui était préparé à l'hôtel-de-ville. Il fut accueilli dans cette grande salle par les mêmes applaudissemens, les mêmes cris, les mêmes acclamations. Toute la population se pressait pour voir S. A. R. La ville était parfaitement illuminée.

Le 4, à cinq heures et demie du matin, S. A. R. se rendit à la cathédrale. Ensuite le prince retourna à son palais, et partit pour Narbonne, accompagné de S. Ex. le maréchal duc d'Albufera.

C'est là que le cœur de S. A. R. devait éprouver de nouvelles jouissances.  Une réception magnifique lui fut faite ; les autorités lui adressèrent des discours ; le peuple entier fit retentir l'air de ses cris de vive le Roi, vive le duc d'Angoulême !

S. A. R. descendit à l'hôtel de la sous-préfecture, et monta à cheval pour aller passer la revue de l'armée qui était rangée en bataille dans une vaste plaine appelée l'Étang-Salin. On ne saurait se faire une idée de la beauté de ce spectacle. Quinze mille hommes des plus belles troupes, commandées par un général qui ne les a jamais conduites qu'à la victoire, M. le maréchal duc d'Albufera, firent devant le prince toutes les manœuvres ; infanterie, cavalerie, artillerie, tous les corps parurent avec le même avantage, avec le même éclat ; des milliers de coups de canon précédèrent et suivirent le feu de file, le feu de peloton, le feu de bataillon. Toutes ces troupes défilèrent en présence de S. A. R., aux cris de vive le Roi !

Rentré dans la ville, Mgr le duc d'Angoulême admit à sa table, outre S. Ex. le maréchal Suchet, plusieurs généraux, les préfets du Gard, de l'Hérault, des Pyrénées-Orientales et de l'Aude. Plusieurs autres fonctionnaires ont partagé cet honneur. 

S. A. R. a voulu que son passage dans les villes du département fût marqué par des distributions d'argent aux militaires malades ou blessés ; elle a recommandé l'union entre les citoyens et les militaires, et a répété à plusieurs reprises au préfet de l'Aude, qu'elle était enchantée de son département.

Ce voyage de Mgr le duc d'Angoulême a produit le plus heureux enthousiasme. Il est, pour le Midi, une époque remarquable dans le retour des Bourbons. C'est ici le premier département non conquis que visitait un prince de cette maison ; il y paraissait sans garde, sans escorte, accompagné seulement de deux de ses officiers, MM. le duc de Guiche et le vicomte d'Escars. le pays était occupé par des armées françaises, et par-tout S. A. R. a vu le même élan, les mêmes transports, a recueilli les mêmes applaudissemens, les mêmes acclamations ; par-tout les guerriers et les habitans ont répondu, par la même fidélité, par le même dévouement, à la noble confiance, à la juste sécurité du prince.

 

ARMÉE DU MIDI

Au quartier général, à Narbonne, le 4 mai 1814

Ordre du jour

M. le maréchal duc d'Albufera annonce à l'armée que S. A. R. le duc d'Angoulême ayant passé la revue des troupes réunies à Narbonne, a daigné témoigner sa satisfaction complette de leur tenue, de leur bon état, de la précision avec laquelle elles ont manœuvré et fait des feux, et sur-tout des sentimens dont elles se sont montrées animées pour le Roi et la patrie : elle l'a chargé de consigner à l'ordre de l'armée ce témoignage de sa satisfaction : elle a promis de le transmettre à S. M. Louis XVIII, et de lui présenter une demande de récompenses et de décorations en faveur des militaires qui y ont le plus de droit par leurs services et leur bravoure. MM. les généraux commandant les troupes feront dresser les états et les présenteront à M. le maréchal.

Signé le maréchal Suchet duc d'Albufera


Quinze mille militaires manœuvrant dans la plaine narbonnaise ! Cela a dû être un spectacle de toute beauté ! Mais où exactement ont-eu lieu ces manœuvres ? Difficile de le préciser, le lieu-dit indiqué étant simplement l'Étang-Salin, type de paysage récurrent dans ce secteur. Mais, seule Narbonne étant citée lors de cette visite du duc, on peut supposer le lieu au plus proche de celle-ci (1), et plus précisément, peut-être au sud, en se dirigeant vers l'étang de Bages. La consultation du vieux cadastre pourrait peut-être éclairer la question, confirmer ou infirmer ce lieu.

On le voit dans l'article du Moniteur universel, les habitants de l'Aude accueillent favorablement ce membre de la famille royale. Mais, bien que prétendant au trône de France, Louis-Antoine d'Artois alias Louis XIX ne régnera jamais. Il cède ses droits à son neveu Henri d'Artois, comte de Chambord, prétendant au trône sous le nom de Henri V mais qui, pas plus que son oncle, ne deviendra roi de France.


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(1) D'autres "étangs salins" se trouvent un peu plus loin, mais dans ce cas on aurait sans doute nommer une autre paroisse, Fleury ou Gruissan par exemple, dont les terres abritent également quelques étangs.



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