mardi 15 juin 2021

3 août 1780, le village de Leuc en grande partie détruit par une trombe de terre !

Dans un autre article, j'évoquais la trombe de terre qui a ravagé le village d'Escales le 15 juin 1785. À peine quelques années auparavant, c'était Leuc qui était détruit en grande partie par un même phénomène. Le Mercure de France du samedi 26 août 1780 (1) décrit les événements.

On mande de Carcassonne le fait suivant, qui est fait pour piquer la curiosité publique et attirer l'attention des Physiciens.

"Le 3 de ce mois sur les cinq heures et demie de l'après-midi, le tems s'obscurcit, il s'éleva un brouillard fort épais ; le vent souflant au Sud, sans trop de violence,  il se forma tout-à coup un orage au Nord, qui fondit sur le pays de la Montagne Noire ; sa direction changeant tout-à-coup, elle se porta au Midi, et le vent parut se calmer ; mais il s'éleva sur les bords de la rivière Daude, dans les terres, un tourbillon en forme de trombe de terre qui soutenoit les pierres et le gravier en l'air ; le vent étant alors au Sud, il resta pendant quelques minutes dans l'endroit où il s'étoit formé, et fut poussé ensuite avec une violence extrême par le même vent sur le Château de Leuc et sur le Village distant de deux mille toises ; cette trombe suivit constamment le cours de la rivière jusqu'au Village, elle s'attacha au château dont elle a enlevé les girouettes, les tuiles, les plombs, les vitres, les contre-vents, a pénétré dans l'intérieur des appartements, qu'elle a entièrement décarrelés ; 80 maisons du Village ont eu le même sort, 10 maisons en ont été écrasées, ainsi que les gerbiers qui ont été enlevés et dont on n'a pu savoir des nouvelles ; 7 à 800 oliviers des plus gros ont été déracinés et enlevés. - Heureusement les habitants du Village étoient à l'Église, sans quoi ils auroient été écrasés sous les décombres de leurs maisons ; l'Église n'a essuyé d'autres dommages que l'enlèvement des toits. - La violence de ce tourbillon étoit telle, que des arbres pesant plus de six quintaux ont été enlevés sur les toits des maisons ; ce qui a paru de plus extraordinaire, est que cet ouragan qui paraissoit enflammé, n'a été précédé ni suivi d'aucune grêle ni pluie, le Ciel étoit aussi obscur à six heures du soir qu'à minuit. On ne sauroit rendre la désolation de ce village, qui d'un état assez aisé, est réduit à la dernière misère ; le Seigneur, le Curé et les Habitants n'ont pas un lit pour se coucher."

 

 



Le tome quatrième du Journal de la littérature, des sciences et des arts (2) apporte quelques précisions supplémentaires.

Météorologie. Extrait d'une Lettre de Carcassonne, en date du 7 août 1780

Il vient de se passer dans nos environs un événement extraordinaire. On y a vu une trombe de terre semblable à celle qui parut à Capestan, près de Béziers, rapportée par l'Histoire de l'Académie, année 1737, et consignée tout au long dans l'Encyclopédie. Ce phénomène s'est renouvellé Vendredi dernier 4 du présent mois, à 5 h. 31 m. du soir à Leuc, lieu voisin de cette ville. Il s'éleva auprès du Village appellé Coufoulens, distant du premier d'environ mille toises, une colonne assez noire, qui descendoit d"une nue jusqu'à terre, en diminuant de largeur, et flottant par un petit vent d'ouest qui la porta au sud-ouest : un coup de tonnerre effroyable rabattit cette nuée toute entière, qui se dressa perpendiculairement, et forma la trombe qui attiroit à elle tout ce qui l'environnoit, gerbes de bled, oliviers, souches, jusqu'à des pierres d'une grosseur extrême, qu'on a trouvées calcinées à la superficie.

Les caractères de ce phénomène ont été tout-à-fait analogues à celui que l'Académie et l'Encyclopédie nous ont décrit, et les effets aussi funestes : les deux tiers des maisons ont été ébranlées, et les toits emportés, les fenêtres et les portes brisées, un mur du Château, large d'une toise et demie, percé, 700 pieds d'oliviers tordus ou coupés, et deux entr'autres d'une grosseur considérable déracinés et portés à plus de deux cents pas ; enfin tout ce malheureux endroit et ses environs ne présentent que ruine et dévastation.

Comme à Escales cinq ans plus tard, on a affaire à un phénomène extrêmement violent et localisé, puisqu'il semble que seul Leuc se trouve concerné par la multitude de dégâts. Et c'est un village et ses environs presque entièrement détruit qui ressort de cet ouragan, habitations aux toits arrachés, récoltes entièrement ravagées... On imagine l'état de peine et de désolation des habitants, leur vie ainsi réduite à néant en quelques dizaine de minutes au maximum. Ces hommes ont dû tout reconstruire pour donner le village que l'on connaît encore aujourd'hui.

À la réflexion, ces phénomènes ponctuels, décrits comme exceptionnels, ne sont pas si rares : en 1737 c'est Capestang, 1776 la montagne d'Alaric, 1780 Leuc, 1785 Escales, et ce ne sont là que quelques exemples pris au hasard parmi tant d'autres. Mais fort heureusement, leur limitation dans l'espace géographique fait que généralement un même lieu n'est pas touché deux fois dans un espace de temps restreint. 

Près de deux cents ans plus tard, le 25 mai 1969, Leuc était de nouveau atteint par une tornade. Il y eut toutefois moins de dégâts qu'en 1780, bien qu'une voiture qui circulait ait été soulevée et emportée dans les vignes, et son conducteur grièvement blessé, un toit de hangar arraché et des poteaux couchés, bloquant ainsi la voie ferrée (3).


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(1) pp. 182-183.

(2) À Paris, au Bureau du Journal, 1780, pp. 292-293.  

(3) Les faits sont rapportés sur le site Keraunos, et un article (reproduit sur le site) a été publié à l'époque dans le Midi Libre du 26 mai 1969. 

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